« Frankenstein », de Mary Wollstonecraft Shelley

Frankenstein est l’histoire d’un brillant jeune homme, Victor Frankenstein, qui rêve de percer à jour les mystères de la création de la vie. D’abord fasciné par les alchimistes et leurs prétentions magiques, il finit par se tourner vers la recherche scientifique dans une démarche plus rigoureuse et moderne insufflée par ses professeurs. C’est ainsi qu’il va, au prix d’heures de travail acharnées, de nuits d’insomnie, au péril de sa santé, créer son fameux monstre, cette créature qui a inspiré de si nombreux films – plus ou moins réussis.

Je connais cette histoire depuis longtemps par ce qu’on en raconte. J’ai voulu visionner quelques-uns des films, il y a quelque temps, mais je n’ai jamais pu aller au bout. Ils avaient trop mal vieilli ou alors je les trouvais risibles. Il était temps que je m’intéresse de près à la source du mythe, à savoir le roman lui-même.

Je l’ai trouvé en version Poche. Malheureusement, les pattes de mouches et les lignes trop serrées m’ont vite donné mal à la tête. La lecture devint cauchemardesque, un peu comme ce que vivait le personnage principal avec sa créature. Ma détresse a été entendue et un ami correcteur, Pierre-Jean Verhoye, m’a conseillé un magnifique livre broché. Dès que j’ai eu ce livre entre les mains, je ne l’ai plus lâché. J’ai été emportée dans l’histoire, tant par le style de l’auteure que par les superbes illustrations de Bernie Wrightson.

Quatrième de couverture :

« Préparez-vous à entendre des faits que l’on aurait tendance à considérer comme relevant du surnaturel. Si nous nous trouvions dans un cadre moins impressionnant, je pourrais craindre de ne pas être cru, de me couvrir à vos yeux de ridicule.

Mais, au sein de ces régions sauvages et mystérieuses, bien des choses paraîtront possibles qui, ailleurs, provoqueraient le rire chez ceux qui sont ignorants des pouvoirs variés de la nature. »

Cette version contient en plus une préface de Stephen King, que j’ai lue une fois le livre achevé.

Frankenstein débute de la même façon que Les Hauts de Hurle-Vent. Les deux auteures ont utilisé la même technique narrative : la focalisation interne variable. Cet effet de narrations internes enchâssées les unes dans les autres diffère de nos romans actuels et est très intéressant. On se retrouve plongé dans l’esprit des personnages de façon successive, chacun racontant ce qu’il a entendu de l’autre, rapportant fidèlement ses propos. C’est différent des romans polyphoniques, dans lesquels l’auteur livre le point de vue de plusieurs personnages sur un même événement. Le style des auteures est aussi beaucoup plus complexe, les phrases beaucoup plus travaillées qu’elles ne le sont dans les livres modernes. Les traducteurs ont fait un excellent travail. Lire Frankenstein est un exercice intellectuel de haute voltige. La syntaxe d’il y a deux cents ans – Frankenstein a été publié en 1818 – est assez différente de la nôtre. Tout comme je m’étais passionnée pour les mots anciens lors de l’écriture de La Légende du futur, j’ai apprécié chacune des phrases de ce livre à la manière d’une chercheuse d’or qui découvre de belles pépites. De plus, Mary W. Shelley a ponctué son récit de remarques d’une grande justesse, de principes que l’on retrouve aujourd’hui, remaniés de façon moderne, dans le domaine du développement personnel. On n’a rien inventé…

Frankenstein est une merveille de la littérature. Dès les premières lignes, on sent que l’auteure a pris soin de travailler chaque phrase, de les construire avec application pour que chacune devienne un petit bijou. Quel plaisir ce fut pour moi de m’immerger dans de telles tournures, totalement disparues des romans actuels, si admirablement désuètes ! L’érudition de l’auteure transparaît dans chaque mot, chaque phrase, chaque paragraphe. Bravo au traducteur d’avoir su rendre l’éclat d’un tel joyau.

Parlons à présent de l’histoire elle-même. Frankenstein est classé dans les récits d’épouvante et considéré par beaucoup comme le premier livre de science-fiction. Bon. Je ne partage aucun de ces deux jugements. Niveau épouvante, cette histoire est gentillette. Le monstre suscite davantage la pitié que la peur, jusqu’à ce qu’il provoque la colère parce qu’il sombre dans un comportement de vengeance facile et enfantin, suite au rejet de son créateur. Question épouvante, j’ai été bien plus secouée par certains romans de Stephen King ou par Le Royaume des devins, de Clive Barker, pour ne citer qu’eux. Peut-être parce que je n’ai pas lu ce roman à l’adolescence, contrairement aux autres… Niveau science-fiction, alors là je ne vois pas trop dans quelle mesure Frankenstein entre dans ce genre. On n’y trouve aucune technologie scientifique, aucun vaisseau spatial, aucune vie extraterrestre, rien des mécanismes de la SF. La façon dont s’y prend Victor pour créer son monstre n’est pas expliquée. Elle ressemble d’ailleurs davantage à un bidouillage alchimique qu’à autre chose. L’auteure élude allègrement ces « détails » fondamentaux sous prétexte que le personnage principal ne souhaite pas révéler son secret afin que personne ne reproduise ses erreurs. C’est un peu facile. Or, en SF, l’usage est d’expliquer au lecteur les différentes techniques et technologies utilisées, même brièvement. Ainsi, Frankenstein relève pour moi bien davantage du thriller fantastique que d’autre chose.

L’histoire se concentre essentiellement sur les personnages, notamment sur Victor, dont on suit l’évolution de l’état d’esprit jusqu’à la déchéance. L’auteure prend aussi le temps de nous décrire les décors, ce qui favorise une immersion complète dans le récit. La psychologie des personnages, très travaillée, compense le peu d’action des deux premiers tiers du roman. La situation s’emballe enfin dans le dernier tiers qui devient palpitant.

Victor se révèle ainsi être un personnage nombriliste, beaucoup moins admirable que sa chère Elisabeth qui rayonne dans une sublime lettre qu’elle lui écrit (voir p. 199 et 200 de la version brochée et illustrée). Cependant, Victor est torturé par son oeuvre, il finit par perdre l’esprit et se lance dans une course-poursuite effrénée. C’est cela qui l’empêche de voir, de comprendre et d’anticiper certaines choses qui lui auraient permis d’éviter certains drames. Victor est un « Prométhée moderne »*, il « courtise la torture du soi ». Elisabeth, malgré son bel esprit, reste une créature ingénue et mystifiée. Mary W. Shelley respecte ainsi dans les codes de l’époque.

Je vous laisse sur deux citations :

« Je remis ma tentative à plusieurs mois, car l’importance que j’attachais à sa réussite me faisait redouter qu’en faisant preuve de trop de précipitation, je n’en compromisse le résultat. »

« La compagnie d’hommes très cultivés enrichissait son esprit et il se découvrit plus de capacités et de ressources qu’il ne l’eût imaginé lorsqu’il fréquentait des êtres qui lui étaient intellectuellement inférieurs ».

Frankenstein, de Mary W. Shelley.

De 4,10 € pour la version Poche (345 pages avec une longue préface) à 34,95 € pour la version brochée (240 pages, préfacé par Stephen King).

 

* Prométhée, dans la mythologie grecque, est un titan. Il est connu pour avoir dérobé le feu sacré à l’Olympe pour en faire don aux humains. Courroucé par cet acte déloyal, Zeus le condamne à être attaché à un rocher sur le mont Caucase, son foie dévoré chaque jour par l’aigle du Caucase et repoussant la nuit.

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