Le dernier atelier d’écriture à LA VALETTE était placé sous le signe de la créativité. Jeux de cartes et de dés ont permis d’introduire de nouveaux exercices, qui ont débouché sur des moments d’intense réflexion. De l’un de ces procédés est née La fête des 80.
Le principe : nous devions lancer les dés et prendre la carte dont le numéro correspondait au nombre obtenu. Nous devions relancer un dé pour choisir un registre entre romantique, suspense, science-fiction, feel-good, policier et humoristique.
De façon tout à fait étonnante, le sort m’a désigné un thème et un genre qui me correspondent parfaitement !
Thème donné par la carte : « Faites venir un strip-teaseur pour l’anniversaire de votre grand-mère ».
Registre donné : science-fiction.
Voici le texte que le hasard m’a inspiré :
La Fête des 80
Certaines dates nous marquent plus que d’autres. De nos jours, la plus importante, celle que nous attendons tous avec impatience et crainte, est celle de l’anniversaire de nos 80 ans.
Impatience, parce que c’est le jour de toutes les folies, le jour où tout est permis et où nos rêves et désirs les plus fous peuvent être réalisés. La famille se cotise, l’État complète afin que le manque de finances ne gâche pas la fête.
Crainte, parce que le lendemain de ce jour démesuré sonne le glas de notre vie. Personne n’a le droit de vivre au-delà de 80 ans et un jour. Ainsi nous faisons part de nos plus grands désirs pour notre anniversaire, et en même temps nous choisissons la façon dont nous voulons mourir le lendemain.
Lorsque la « loi des 80 » a été mise en place, des petits malins ont eu recours au suicide pour la contourner. La réplique ne s’est pas fait attendre : depuis, l’État condamne les familles des contrevenants à de lourdes pénalités financières.
Mamie a donc tranquillement atteint l’âge requis sans velléité de nous faire faux bond. Elle a été très claire sur la façon dont devait se dérouler son quatre-vingtième anniversaire. Aussi avons-nous pu parfaitement organiser cette mémorable journée.
Nous voici à présent réunis dans la salle des fêtes de notre secteur, lieu où se tenaient habituellement les grandes célébrations de la vie au siècle dernier. Mamie est d’une autre époque… De nos jours tout le monde rêve de cérémonies à bord des vaisseaux d’apparat qui sillonnent l’espace interplanétaire, et chacun économise pour cela. S’envoyer en l’air, ça en jette ! Nous sommes bien contents que Mamie ait formulé des goûts plus… terre à terre.
Mes considérations pécuniaires sont interrompues par un biker qui déboule sur scène au volant d’une Harley-Davidson pétaradante. Il faut bien ça pour attirer l’attention de Mamie, qui est un peu sourde. Elle est tout de suite subjuguée par le vilain garçon. Le voilà qui descend de sa monture. Sur la musique d’une antique série télévisée à l’eau de rose, il commence à se dévêtir langoureusement. Mamie en devient rouge de surprise et de plaisir. Le strip-teaseur ne la lâche pas du regard. Pour Mamie, rien n’existe plus en-dehors de cet homme. Son torse musclé, ses bras qu’elle imagine l’enlacer, et ce slip qui renferme tant de promesses ! Le chemin que suivent ses yeux parle pour elle. Voilà ce qui lui a le plus manqué ces dernières années : avoir un bel homme à sa portée. Le strip-teaseur saute bientôt de la scène. Il s’approche d’elle en tortillant du bassin en mouvements envoûtants et suggestifs, tant et si bien que Mamie est hypnotisée, incapable de quitter l’entrecuisse désiré qui s’agite sous son nez.
L’homme lui tend la main en une invite à danser. Mamie se lève aussitôt avec une vivacité que nous ne lui avions pas vue depuis longtemps. Elle se blottit contre lui et hume son parfum. Elle ferme les yeux et sourit de joie ; le biker sexy exhale son parfum préféré. Nous sommes ravis de n’avoir commis aucun faux pas jusque-là, et si émus de voir Mamie heureuse ! Un slow mélancolique débute à point nommé.
Le strip-teaseur la presse contre son cœur du bras gauche, tandis que sa main droite glisse vers son cou. Quelque chose brille entre ses doigts sous les spots de la boule à facettes. Une aiguille, peut-être ? Peu après, le couple éphémère ralentit sa ronde. Mamie ne bouge plus. Elle semble s’être endormie contre son cavalier. Ses bras tombent le long de son corps. Une constatation terrible s’impose : c’est un sommeil éternel qui vient de l’emporter !
Toute la famille se lève d’un bond, atterrée. La musique s’interrompt. Dans un mouvement lent et respectueux, le strip-teaseur allonge Mamie au sol. Il se relève et exhibe le creux de sa main métallique sous nos yeux exorbités. Un robot ! Le bourreau du jour un après les 80 ! Il nous dit, d’une voix dénuée d’émotion :
— Votre aïeule a choisi de mourir à minuit une, afin que la perspective du jour fatal ne hante pas sa nuit.
Dans un même mouvement, nous consultons nos montres. L’anniversaire est déjà terminé depuis deux minutes. Aucun de nous n’avait vu le temps passer, insouciants que nous sommes. Une larme coule sur ma joue. Pourvu que le destin m’arrache à cette vie avant cet affreux quatre-vingtième anniversaire…
– Hélène Destrem –
Notre groupe d’écriture fort studieux pris sur le vif ! J’étais en pleine écriture de La fête des 80, justement. Deux mois de pause avant la reprise, ça va être loooong… !
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