Dualité (nouvelle d’auto-fiction)

Autofiction = récit qui consiste à prêter à des personnes réelles des événements fictifs. La fiction se mélange au vécu et offre de nouvelles possibilités de développement.

Je me suis prêtée à ce petit exercice d’écriture, dont je vous livre ci-dessous le produit, en moins de 6000 signes.

DUALITÉ

Vous êtes-vous déjà senti incomplet, comme amputé d’une partie de vous-même, sans savoir ce qu’il manquait à votre existence pour être en équilibre ? Avez-vous cherché à combler ce manque en testant toutes sortes de choses, dans toutes les directions, quitte à refuser d’admettre une évidence que vous connaissiez depuis longtemps ?

Poser mes doigts sur la peau d’une femme, effleurer ses courbes, sentir la douceur de son corps, j’en rêvais ! Sensualité, charme, élégance, séduction, tout ce qui se dégage du corps féminin m’attire, m’envoûte, m’hypnotise, me fascine. Si proche et si inaccessible en même temps…Il est si facile de conquérir un homme et si délicat d’approcher une femme ! Je sais ce qu’un homme éprouve, intimidé, désemparé, hésitant, face à une femme convoitée. Quel exercice périlleux que celui d’engager une conversation des plus banales sans se dévoiler dès les premiers mots, tout en semant des indices sur nos intentions !

Un jour, l’une d’elles fut là, devant moi, parce qu’elle voulait savoir ce que « ça » faisait de faire l’amour avec l’une de ses semblables. Nue devant moi, elle m’encouragea du regard et s’allongea, dans l’attente de ma présence. Je me penchai sur elle. Maladroitement mes mains se posèrent sur sa peau et commencèrent à l’effleurer. La sentant réagir sous mes caresses, je m’enhardis et déposai mes lèvres sur sa cuisse, entre ses cuisses… Ma langue se fit audacieuse. Son goût me surpris, me plut, m’envoûta. Elle gémit. Mes baisers remontèrent sur son ventre, à la recherche de sa poitrine que ma main caressait. Quelle douceur que ce contact ! Quelle étonnante différence de sensations entre le toucher de sa poitrine et la mienne ! Tendresse et volupté extrêmes. Immobile, elle se laissait faire. Elle profitait de mes caresses sans m’en donner en retour. Cet égoïsme me désarçonna. Je poursuivis mes explorations, laissant ma main redescendre entre ses cuisses et susciter chez elle un nouveau soupir comblé. Elle ne me toucha toujours pas pour autant. Le pincement de la frustration commença à me ronger. Je ne souhaitais pas jouer le rôle la vestale initiatrice sans rien recevoir en retour. Le sexe n’est-il pas censé être partagé ? Ma bouche s’approcha de son oreille et je lui soufflai :

— Tu aimes ?

— Oui, murmura-t-elle de façon à peine audible, sans ouvrir les yeux.

— J’aimerais que tu me caresses aussi.

Ses mains, hésitantes elles-aussi, se posèrent enfin sur mes hanches, sur mes seins. Je frémis de plaisir à chaque contact. Sa bouche à son tour alla explorer chaque parcelle de ma peau, tandis que mes mouvements à son endroit poursuivaient leur danse. Notre étreinte prit une autre dimension, celle du plaisir partagé. Les caresses furent avides, mais tendres, précises mais pas violentes. Je découvris auprès d’elle un amour bien différent de celui que j’échangeais avec les hommes et où s’exprimait toujours un rapport de domination – rapport que j’affectionnais, au demeurant. Les deux commerces étaient différents, les deux m’étaient nécessaires ; cela me sauta aux yeux à cet instant.

Mon cœur chavira, mon horizon explosa, mon univers bascula. Il y avait un avant, il y aurait un après. J’étais enfin complète, entière, moi.

Ce fut alors qu’elle s’éloigna. Aussi subitement qu’elle s’était offerte à moi, elle se referma comme une huître. Elle avait testé l’amour avec une femme et cela ne lui avait rien apporté « de plus ». Je la vis se rhabiller comme l’on ferme une porte sur un possible à peine entrevu. Elle partit sans se retourner. Ma dualité à peine révélée saigna d’être si brutalement abandonnée.

Je me perdis en vains transports, dans l’espoir de revivre ce à quoi je venais de goûter… Je tombai sur des lesbiennes extrémistes qui nourrissaient une haine féroce contre les hommes et voulaient me les faire définitivement oublier. Je me heurtai à des hétéros convaincues qui ne juraient que par les échanges de fluides avec les hommes et pour lesquelles la seule idée de toucher le corps d’une autre femme était répugnante. Toutes ces femmes caricaturales me découragèrent.

Ma quête semblait ne jamais devoir aboutir et, telle le roi Arthur, je désespérais de ne jamais découvrir mon Graal, mon amante, mon âme sœur.

Soudain elle apparut, improbable vision venue égayer un jour d’une morne banalité. Tout simplement, elle était là. Mon amour de jeunesse, cette amie aux cheveux roux qui avait fait chavirer mes 17 ans et à laquelle je n’avais jamais pu livrer mes sentiments. Mon cœur battait à tout rompre lorsque, assises côte à côte sur son lit, nous écoutions un CD de Jean-Jacques Goldman.

Elle était là, penchée sur des disques, dans l’un des rayons du centre culturel que j’avais l’habitude de fréquenter, comme si vingt ans ne s’étaient pas écoulés. Elle sentit sur elle mon regard et leva les yeux dans ma direction. Comme elle était belle ! Ses yeux bleus illuminaient son visage parsemé de tâches de rousseur, ses traits gracieux n’avaient guère changé, à peine étirés par les années, magnifiés par ses longues boucles de feu qui tombaient délicatement sur sa poitrine. Mon cœur s’emballa, ma voix tressaillit…

— C’est… c’est bien toi ?

Un immense sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu’elle me reconnut à son tour. Contre toute attente, elle se jeta dans mes bras et m’enlaça. Je lui rendis son embrassade, la serrai sur mon cœur. Le temps s’arrêta autour de nous ; magiques retrouvailles. Sans que je puisse les retenir, des larmes roulèrent sur mes joues. Et là, je l’entendis prononcer les plus beaux mots du monde :

— Comme je suis heureuse de te revoir ! J’ai si souvent pensé à toi !

Je me reculai, essuyai mes larmes d’un revers de main maladroite, afin de la regarder pour m’assurer qu’elle était bien réelle. Elle me prit par la main, de sa main chaude et douce dont le souvenir me revint aussitôt. Je me laissai entraîner dans le sillage de sa chevelure rougeoyante. Avec elle, tout était simple et naturel, comme avant. Enfin capable de l’avouer, je murmurai :

— Je t’aime, Alexandra…

– Hélène Destrem, août 2018 –

 

deux femmes

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